Quand l’IA révolutionne la veille réglementaire financière
Sous l’impulsion du groupe Innovation de France Post-Marché, SLIB développe une expérimentation pilote d’IA spécialisé en vue de faciliter l’accès aux textes légaux complexes du secteur bancaire et financier. Une innovation à forte valeur ajoutée susceptible de simplifier le quotidien des opérateurs financiers, dans un contexte d’inflation réglementaire.
Les établissements financiers et les opérationnels sont confrontés à un déluge de textes réglementaires toujours plus nombreux et complexes. Pour répondre à cet enjeu essentiel, SLIB, en collaboration avec France Post-Marché, vient de franchir une étape majeure en développant une plateforme d’intelligence artificielle dédié à la veille réglementaire dans le domaine du « post-trade ».
Actuellement en version bêta, cette initiative illustre l’engagement de France Post-Marché à répondre aux défis concrets du secteur financier. Cela, en s’appuyant sur une solution technique qui applique le principe de l’IA générative à un domaine ultraspécialisé et réputé pour sa complexité. Explications.
| France Post-Marché est l’association française de référence pour les métiers du post-marché financier. Créée en 1990, elle rassemble les principaux acteurs du secteur bancaire et des services financiers impliqués dans les activités post-marché : infrastructures de marché, dépositaires, teneurs de comptes, administrateurs de fonds, prestataires de services d’investissement, etc. FPM joue un rôle clé dans la promotion, la représentation et la défense des intérêts de ces métiers auprès des régulateurs et des institutions, dans l’accompagnement des évolutions réglementaires et technologiques du secteur, dans l’harmonisation des standards européens, ainsi que dans la sécurisation et l’innovation. |
L’expertise au service de la spécialisation : une IA générative dédiée à la réglementation financière
La révolution ChatGPT a contribué à la démocratisation fulgurante des IA génératives généralistes, aujourd’hui utilisées quotidiennement pour des tâches courantes. Mais ces outils sont désormais entrés dans une nouvelle phase : celle de la spécialisation.
Le PoC développé par SLIB s’inscrit précisément dans cette tendance, comme l’explique Patrick Ciaravino, senior consultant et membre de l’équipe technique à l’origine du projet : « En marge d’une logique généraliste, notre approche consiste à créer un silo de veille réglementaire hyper-spécialisé, capable de répondre aux préoccupations spécifiques des professionnels noyés dans la complexité des textes réglementaires ». En substance : une IA experte, entraînée sur un corpus de documents bien particuliers, et conçue pour une cible de niche.
Le choix initial de se concentrer sur la réglementation CSDR (Central Securities Depositories Regulation) n’a rien d’anodin : cet ensemble de textes européens consacrés à la sécurité des dépôts de titres constitue un terrain d’expérimentation idéal, assez vaste pour tester les capacités de la machine tout en gardant un périmètre maîtrisable. L’objectif, à terme, étant d’étendre progressivement la couverture à l’ensemble des réglementations post-trade.
Un proof of concept unique en son genre
Au cœur de ce PoC, une technologie avancée : la « génération augmentée de récupération » (Retrieval Augmented Generation ou RAG). Une approche qui consiste à optimiser le résultat d’un LLM en s’appuyant sur des informations ciblées, sans pour autant modifier le modèle sous-jacent. L’IA générative peut ainsi fournir des réponses contextuellement pertinentes en s’appuyant sur des données plus récentes et plus opportunes, sans réentraînement.
Le processus technique s’articule en deux étapes. En premier lieu, l’utilisateur dispose d’une interface graphique conventionnelle lui permettant d’écrire une requête, à la manière des moteurs d’IA classiques. Il peut poser une question simple ou créer un prompt à sa façon. La requête formulée déclenche un scan approfondi de la base de connaissances propriétaire, elle-même adossée à une technique puissante de récupération d’informations de type hybrid search qui combine recherche en texte intégral et recherche vectorielle. Les documents sont transformés en représentations numériques aidant l’algorithme à identifier des similarités sémantiques.
En second lieu, cette base d’informations est traduite sous forme de prompt côté backend, puis transmise à un LLM. Plus précise et mieux ciblée, la recherche permet ainsi d’obtenir une réponse finale qualifiée. Celle-ci est analysée et formatée avant d’être servie à l’utilisateur.
Ce PoC innovant, unique en son genre, s’adresse essentiellement aux équipes juridiques, conformité, affaires publiques mais aussi aux opérationnels des établissements financiers. À ce stade, plusieurs cas d’usage principaux émergent : l’analyse d’impact des nouvelles réglementations et la comparaison des différentes versions d’un texte afin d’identifier les évolutions dans le temps. Pour les opérationnels du back office, le PoC permet de vulgariser des textes complexes et de faciliter la compréhension de leurs implications métier. Enfin, du côté de SLIB, le socle technique ainsi constitué peut être utilisé dans d’autres cas de figure, par exemple pour alimenter la base de connaissances d’une toute nouvelle application de gestion des opérations sur titres.
Une démarche itérative et collaborative
SLIB a commencé par développer une première version de la plateforme, testée auprès d’une cinquantaine d’utilisateurs dans 13 établissements. Des ateliers de restitution ont été orchestrés par les équipes de France Post-Marché avec le support du cabinet de conseil Ailancy, afin de collecter les retours et d’identifier les améliorations à apporter. En parallèle, des comparatifs avec des plateformes dites « grand public » ont permis de mettre en lumière la valeur ajoutée spécifique du PoC. Paul-Henry Hache, consultant Ailancy en charge de l’organisation et du suivi du testing confirme « l’intérêt de l’approche collaborative mise en œuvre et de la qualification systématique des feedbacks, qui ont permis de dégager des consensus sur les évolutions à apporter au prototype »
Dans un second temps, une version perfectionnée de la plateforme a servi de base à une série de nouvelles améliorations : optimisation du découpage et de la vectorisation des sources de données, puis simplification du parcours utilisateur. Ces changements ont, là encore, fait l’objet de tests rigoureux et de retours dûment documentés.
Pour Frédéric Beck, Head of AI and Automation à BNP Paribas et responsable du Groupe Innovations et Nouvelles Technologies de France Post-Marché, « cette démarche itérative incarne l’ADN du Groupe Innovation et illustre sa volonté de travailler collectivement sur des sujets concrets et innovants. Ce cas d’usage est particulièrement significatif car il permet de générer de la valeur en mutualisant les efforts entre établissements potentiellement concurrents. ».
Le défi de la granularité documentaire et mutualisation des expertises
Parmi les défis techniques rencontrés lors du développement, le plus prégnant a trait au découpage des documents choisis pour entraîner le LLM. Les textes réglementaires, structurés en niveaux multiples avec des références croisées complexes, nécessitent une approche particulièrement sophistiquée. L’équipe a donc mis au point un algorithme capable de segmenter ces documents en chunks pertinents, sans pour autant briser leur cohérence sémantique.
Pour Patrick Ciaravino, la plus-value de l’outil réside précisément dans cette capacité à « remettre les bons éléments aux bons endroits dans la requête grâce à un algorithme de traitement qui recrée des liens intelligents entre les chunks ». En d’autres termes : son aptitude à « trouver les bons documents dans la masse », les bouts de texte appropriés et les articles légaux ad hoc, afin de fournir une réponse d’une qualité et d’une fiabilité optimales.
Car, bien sûr, la question de la fiabilité est au cœur des problématiques de développement, alors que le web voit fleurir des exemples d’hallucinations générées par l’IA générative. Face à ce risque, l’équipe SLIB a établi un protocole de validation exigeant, multiplié les tests unitaires, et organisé avec Ailancy des workshops rassemblant des experts de la réglementation. Chaque réponse a fait l’objet d’une notation de pertinence, les scores les plus faibles déclenchant des phases de tuning ciblées.
Cette approche méthodique reflète l’humilité de l’équipe face aux incertitudes inhérentes à l’IA générative. « L’intelligence artificielle est, par définition, imprévisible », souligne Gabriel Hanotaux, chief technology officer chez SLIB. « C’est pourquoi nous avons multiplié les règles contextuelles dans nos prompts, mené de nombreux tests humains pour vérifier la pertinence de chaque réponse, et opté pour une démarche stratégique qui mutualise les expertises. »
Cette démarche est incarnée dans la collaboration avec France Post-Marché. L’association, qui rassemble des professionnels du secteur bancaire et financier, a joué un rôle déterminant dans la sélection et la validation des sources documentaires. L’esprit du modèle cible serait de créer un conseil scientifique garantissant la qualité des golden sources qui alimentent l’IA, tandis que la mutualisation des expertises permettrait d’atteindre un niveau de spécialisation difficilement accessible aux solutions généralistes. À cela, il faut ajouter la possibilité offerte à chaque organisation partenaire d’enrichir la base de données avec ses propres documents, créant un écosystème collaboratif en silos sécurisés.
Quel avenir pour l’IA hyper-spécialisée ?
Les premiers retours positifs des testeurs ont encouragé l’équipe à poursuivre le développement, jusqu’au déploiement d’une seconde version encore plus aboutie. Une troisième phase de tests est actuellement en cours, marquant la transition du proof of concept vers un package produit potentiellement commercialisable.
L’équipe de SLIB reste cependant prudente quant aux perspectives commerciales. « Nous testons l’appétence du marché », souligne Gabriel Hanotaux. « L’objectif n’est pas de faire des promesses immodérées, mais de démontrer notre savoir-faire et notre capacité d’innovation dans le domaine de l’IA appliquée à la finance, et pourquoi pas, d’étendre cette base de connaissances à d’autres outils à forte valeur ajoutée, ainsi qu’à d’autres cas d’usage ».
En tout état de cause, une approche collaborative continuera d’être privilégiée. La force du modèle – et ce qui le différencie – réside dans la mise en commun des expertises. Cette forme de « conseil scientifique » permet d’identifier les sujets pertinents pour les acteurs de marché et de certifier les sources de données.
En somme, le développement de ce proof of concept témoigne de la maturité technologique de SLIB et de sa capacité à identifier des niches d’innovation pertinentes. Dans un secteur en pleine mutation technologique, cette approche hyper-spécialisée et collaborative pourrait bien préfigurer l’avenir de la veille réglementaire financière.
